Allo papa

Cette année, j’ai trouvé une échappatoire judicieuse, pour éviter d’être triste et aussi, pour me soustraire à la réalité : dormir le plus que possible. C’est comme un marathon. Plus je dors, moins je suis malheureuse, plus je rêve de toi. Scénario gagnant, pour moi.  Dieu seul sait combien je déteste dormir. Mais, pour la bonne cause, j’y arrive, sans efforts. Comme si j’ai toujours été de ceux – comme Luna – qui peuvent dormir douze heures d’affilée. Ce 15 décembre, je dormirai toute la journée. Ce sera plus facile.

Avec tout ce qui s’est passé au pays cette année, j’ai beaucoup pensé à tout ce que tu nous racontais de la politique en général, mais aussi d’Haïti. De tout ce que tu savais, de ce que tu avais vécu en tant que militaire et en tant que citoyen aussi. Tu n’as jamais eu tort. Rien n’a changé. Tout a empiré. On patauge dans un marécage profond et personne ne voit la fin. Tu nous disais d’être honnête et de travailler dur. Fort de ton expérience, tu nous disais que les braves meurent dans les rues, comme des chiens et que les lâches meurent dans leur lit. Cela nous faisait toujours rigoler parce que tu n’étais pas nécessairement un lâche, tu nous signifiais ainsi de choisir nos combats. Ne pas s’exciter à la promesse d’un leader, faire du n’importe quoi sous ses ordres et ensuite, après quelques semaines, endosser un autre leader et faire encore pire. Ne pas se laisser acheter, ne pas se vendre. Parfois, c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais, c’est possible. Comme pour te donner raison, tu es mort dans ton lit. C’était horrible, papa. Et moi qui m’inquiétais que tu nous oublies avec l’Alzheimer. A chaque fois que je t’approchais, je craignais que tu m’avais oublié et que tu me demandais qui j’étais. Mais, cela s’est passé tout autrement. Je ne m’y attendais pas, papa.

Je ne sais pas ce qui est le plus difficile. Penser que tu serais peut-être encore avec nous malade. Ou que tu sois parti avant que cela ne tourne au drame. J’essaie de ne pas répondre à mes questionnements. C’est plus simple. Je ne sais pas ce qui me manque le plus. La terreur que tu nous inspirais ou les jours où tu étais de si bonne humeur que tu dansais avec manmi. Je n’ai pas oublié, papa. Ta parano dont je rigolais durant mon adolescence, je l’utilise aujourd’hui dans ma vie d’adulte. Ne pas emprunter le même chemin à l’aller et au retour. Ne pas faire confiance aux gens. Ne pas inviter des gens chez soi sans une bonne raison. Ne pas aller chez les gens, sans une bonne raison. Tout ce qui me faisait enrager et qui me rend confortable maintenant.

Papa, c’est vraiment horrible. Certaines fois, je suis triste. D’autres, je ne sais pas. D’autres fois, je ris sans fin de certains souvenirs. Comme ceux où on devait t’écrire une note et l’accrocher sur la porte de ta chambre pour te demander la permission de sortir, ou ceux où ta voix seulement nous faisait mourir de peur. Ceux où tu faisais des surprises à manmi. Ceux oú on jouait au domino sur la table de la salle à manger. Quand j’ouvre cette porte, cela ne se termine jamais bien. Et à Daniel de me dire : « pourquoi tu as ouvert cette porte ? » Je n’arrive jamais à répondre parce que les sanglots m’étouffent.  Mais papa, il m’écoute. Il n’est pas de ces gens qui sont mal à l’aise quand je parle de toi. Il m’écoute parfois sans rien dire. Parfois, il éclate de rire devant les péripéties à travers lesquelles tu nous as fait passer. Tu te rappelles la crise à la maison à cause de mon bracelet de chevilles ? Cela fait vingt ans. J’ai vraiment cru que tu aurais pu me couper la jambe.

Papa, t’étais pas mal. Il y a plein de choses que tu aurais pu faire mieux. Si tu avais été moins têtu! Mais, tu étais un homme, comme tout autre. Tu as commis des erreurs comme tout le monde. Papa, je n’ai pas de carrière, j’ai pris des décisions de merde que je paie encore aujourd’hui. Je ne suis pas écrivaine comme je l’ai toujours voulu. Je n’ai pas arrêté de faire du n’importe quoi de ma vie. J’ai peur, papa. Peur que tu ne sois plus fier de moi. Tu te rappelles de tous mes rêves ? De tout ce que j’ai voulu accomplir ? Je n’ai rien foutu. J’essaie simplement de survivre chaque journée et celle d’après. Papa, tu nous manques. Tout est différent sans toi. Je t’aime, papa.

Djeancollage daddy

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