Dans la touffeur de ce mois de juillet, Martin ne transpirait même pas. Il grelottait de froid. Littéralement. L’angoisse avait eu raison de son corps musclé. Du haut de ses deux mètres et avec son air perdu, il ressemblait à un enfant fragile espérant que quelqu’un le réconforte. Mais, personne ne vint. La porte en face de lui demeurait obstinément fermée. Son esprit inquiet la vit s’ouvrir de nombreuses fois. Mais, il n’en était rien. L’attente lui pesait et l’incertitude lui rongeait les os. Ne pouvant rien faire, il s’assit à même le sol. Dans la poussière. Il s’en foutait. Il voulait la voir. Les voir.
Dalla regardait avec horreur le bébé qu’on lui tendait. Ils avaient espéré du plus profond de leur cœur que la malédiction ne s’accomplirait pas. Le premier descendant de la dixième génération. Le sort avait voulu qu’elle en tombe enceinte. La légende n’était donc pas vraie. Leur bébé avait été conçu à la pleine lune. Sa grand’mère lui avait confié que si le premier descendant de la dixième génération était conçu en période de pleine lune, la malédiction passerait à la vingtième génération. Ce n’était pas le cas. Dans un soupir, elle prit finalement son enfant et commença à la bercer. Elle fit chercher Martin.
Il entra brusquement dans la chambre et accourut vers elles. Le bébé bougea un peu et le père anxieux entendit le bruit métallique qui les effrayait tant. Il sourit courageusement à son épouse et lui prit l’enfant des bras. Ils la nommèrent Asha. Ils sortirent discrètement de l’établissement et la cachèrent pendant de nombreuses années. Quiconque était au courant de sa naissance pourrait tenter de la tuer. Elle était un danger pour les dénommés « traules » qui ne voulaient que tout dominer. Elle est celle qui pourrait tous les éliminer, tous le savaient. Asha grandit donc loin des yeux et lorsqu’elle eut dix ans, ses parents lui expliquèrent pourquoi personne ne pouvait lui enlever les chaînes entravant ses chevilles et l’empêchant de courir.
Á dix-huit ans, Asha, profitant de l’absence de ses parents, sortit de la maison et s’enfonça dans la forêt noire. Il était temps pour elle de passer à l’action. Les « traules » avaient été trop méchants envers les siens durant les derniers siècles. Dans ses veines, coulait le sang de dix générations. Elle sentait leurs souffrances et rêvait de ses ancêtres chaque nuit. Elle seule pouvait faire cesser les injustices. Elle ne pouvait aller vite à cause de ses entraves, mais, maintenait un bon rythme de marche. Elle devait atteindre le sommet de la montagne avant la tombée de la nuit. Tout en dépendait.
Regardant au loin, elle vit la ville à ses pieds. Tous vaquaient à leurs occupations. Elle n’avait plus de temps à perdre. Elle creusa rapidement un trou dans le sol mou. Ses bras lui faisaient terriblement mal, mais, elle ne s’arrêta pas. Elle s’assit rapidement sur le rebord du fossé, y mit ses deux pieds et attendit la nuit. Á minuit, elle ferma les yeux et commença à cracher sur ses liens. En même temps, elle refermait le trou sur ses pieds en y jetant de la terre. Elle patienta quelques minutes et vit enfin les flammes envahir la ville. Seule les demeures des « traules » brûlaient. Ils hurlaient de douleur et de désespoir, mais elle fut la seule à les entendre. Elle vit leurs âmes confondues se chercher un refuge. Le sommeil s’empara d’elle.
Asha courait pour la première fois de sa vie. En se réveillant au matin, les chaînes avaient disparu ainsi que les « traules ». Essouflée, elle s’arrêta devant l’emplacement de la maison familiale. Cette dernière avait brûlé aussi. Sa mère, assise dans la poussière, la regardait tristement. Dalla pleurait amèrement. Cherchant son père des yeux, Asha ne le vit pas. Atterrée, elle tomba sur ses genoux et hurla de douleur. Elle avait compris. En accomplissant la prophétie, elle avait aussi sacrifié Martin. Son père était aussi un « traule » et avait disparu avec les siens.