Les jumeaux jouaient paisiblement sur le gazon. Ils aimaient s’asseoir et admirer les fourmis vaquer à leurs occupations. Heureusement qu’ils étaient deux, parce qu’ils ne pouvaient pas jouer avec les enfants du quartier. Les parents de ceux-ci le leur avaient interdit. Ils se rabattaient ainsi sur tout insecte disponible et passaient leur temps à les regarder. Très jeunes, ils avaient compris que les autres ne voulaient pas d’eux, ni de leur mère.
Assise sur les escaliers et surveillant ses enfants, Alexa avait l’habitude d’être ignorée par les voisins. Depuis assez longtemps, elle avait compris qu’elle était tout simplement détestée. Mais, elle s’en foutait totalement. Presque personne ne lui adressait la parole et elle passait beaucoup de temps avec ses adorables enfants. Après de longs mois d’attente, elle avait été sélectionnée pour une résidence d’écriture qui lui permettait d’emmener ses bambins. Tout était déjà emballé. Ils partiraient dans un mois.
Adèle passa rapidement sans la regarder. Elles avaient été les meilleures amies du monde jusqu’au jour où Alexa avait dénoncer les abus sexuels du prêtre Paul. Enfant de chœur et fervente catholique, elle passait beaucoup de temps avec lui pour préparer les messes et organiser les rencontres de la chorale. Elle n’avait compris son malheur que quand elle tomba enceinte. Tout le monde l’avait rejeté. Le prêtre Paul n’aurait jamais fait une chose pareille. Où avait-elle été se faire engrosser ? Ses parents l’avaient mise à la porte et le prêtre avait continué ses manigances dans la communauté.
Adèle, fille de Pasteur, ne lui adressait plus la parole. Alexa était une dévergondée, selon le Pasteur Jean. Recueillie par une voisine, elle se pavanait enceinte sous les yeux horrifiés des saints du quartier. A seize ans, elle avait découvert une chose : l’hypocrisie humaine. Sous toutes ses formes. Abasourdie, elle réalisait combien tout le monde profitait de sa déchéance pour se sentir bien dans leur double ou triple vie. Parler d’elle leur permettait de mieux se cacher et de mentir aux autres.
Quatre ans plus tard, elle ne voulait pas partir comme une lépreuse. Elle ne voulait pas être oubliée. Elle voulait être dans leurs pensées jusqu’à leur dernier soupir. Elle procéda donc à écrire tout ce qu’elle savait sur chaque voisin, chaque parent qui l’avait méprisé. Elle savait bien que son père depuis des années couchait avec la voisine et lui avait fait un enfant. Que sa mère, responsable du groupe des femmes de la paroisse, prétextait aller voir une vieille tante dans la ville voisine, pour passer du temps avec le prêtre vaudou Elie, son amant. Que ce dernier était un charlatan et trompait ceux qui se tournaient vers lui. Que sa chère Adèle, si pure, avait avorté quatre fois pour quatre hommes différents avant même ses dix-huit ans. La douce Adèle, si vertueuse, aujourd’hui fiancée à un diacre de son assemblée.
La liste était longue. Elle n’épargnait personne. Le père d’Adèle qui touchait les petits garçons qui lui étaient confiés pour les classes de baptême. Le commissaire de police qui abusait les jeunes filles de l’orphelinat. Une telle qui avait fait ceci, un tel qui avait fait cela. Elle avait des noms, des preuves. Elle avait passé les dernières années à assister à leurs danses secrètes sans qu’ils ne lui prêtent attention. Elle n’était même pas en colère, elle se sentait bien. Le chaos qu’elle allait créer la faisait jubiler. Ces gens stigmatisaient ses enfants et les méprisaient. Ces gens avaient préféré lui tourner le dos pour se sentir bien dans leur morale, pour bien paraitre. La veille de son départ, dans la soirée, elle publia ses révélations sur sa page Facebook et sur de nombreuses autres plateformes.
Après leur dernière nuit dans le quartier, ils partirent de bonne heure vers l’aéroport. Les enfants s’étaient rendormis dans le véhicule. Elle savait que de nombreuses personnes voudraient la confronter. Elle voulait les laisser dans leur propre confusion, à nue, sans possibilité de se cacher ou de tenter de se justifier. Un remous commençait à secouer le quartier. Elle entendit des coups de feu, des cris. Elle vit une femme courir vers son taxi, un couteau à la main. C’était Adèle. Elle pleurait. Leurs regards se croisèrent au moment où son ancienne amie se trancha la gorge dans cette même rue où, petites, elles jouaient à la marelle. Dans un carrefour, elle vit sa mère confronter la voisine. Dans une autre rue, le prêtre Paul courait, nu comme un vers, pourchassé par le commissaire de police. Il avait été surpris avec la femme de ce dernier. Lorsque le taxi s’engagea sur l’autoroute, elle entendit les derniers hurlements et éclata de rire.
Zin pete nan katye a. Dans combien de quartiers, de familles, serait-il necessaire d’en faire autant? Presenter un miroir a ceux qui se voilent la face pour se donner bonne conscience…
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