L’enfant soleil

Assise sur une solide dodine, la septuagénaire tricotait. Ses vieilles mains ridées ne se fatiguaient jamais. Ses paumes caressantes tenaient fermement le bonnet d’hiver qu’elle se hâtait de finir pour son petit-fils qui naîtrait bientôt. Un doux sourire effleura ses lèvres. Ce sera son cinquième petit-enfant, mais, elle ressentait toujours la même excitation. Elle qui adorait les enfants et leur avait dédié sa vie ne cachait pas son bonheur d’être grand’mère. Cet amour était généralement partagé puisque, même adulte, certains de ses anciens élèves cherchaient à la rencontrer, pour la voir, la remercier ou tout simplement pour remuer des souvenirs datant de plus de quatre décennies.

En effet, voilà quarante-six ans qu’elle avait choisi l’éducation comme carrière. Et bien que ses genoux la suppliaient d’arrêter de sauter comme une adolescente, elle restait sourde à leurs demandes. Il lui fallait bouger avec ces enfants qu’elle avait promis d’éduquer. Elle fait de son mieux.  Elle le fait avec amour. Et, ses yeux brillent quand elle parle de sa passion. Elle en a fait du chemin, la vieille. Dans la petite boutique où elle vendait de tout aux côtés de sa marraine, elle avait rêvé de ces centaines d’enfants qui compteraient sur elle. Debout dans la cour de son école, elle avait vu des mères et des pères récupérer leurs enfants après la classe et leur faire des bisous et des câlins. Ça, elle ne l’avait pas connu.

Elle leva les yeux et regarda le soleil ardent à travers la porte en fer forgé. La température étouffante ne la dérangeait pas. Elle aimait s’exposer au soleil et profiter de sa chaleur. Soudain, elle sentit une main tiède sur son épaule et se figea. Elle était seule dans la maison. Philoména se retourna et ne vit personne derrière elle. Riant d’elle-même, elle se promit d’aller se coucher après avoir finalisé le beau bonnet bleu. S’étant réveillée tôt, elle avait besoin de se reposer. Après quelques minutes, ce furent deux mains tièdes qui se posèrent sur ces épaules. Cette fois-ci, elle crut qu’elle hallucinait et s’évanouit.

Bien qu’inimaginable, le visage qui se penchait sur elle à son réveil ne l’effraya point. Elle se plongea dans son regard et vit un immense amour qui la fit frissonner. Silencieuse, elle essayait de comprendre toutes les émotions qui chamboulaient son cœur et son corps. Confuse, elle se laissa bercer dans ce grand fleuve d’affection. Les minutes s’égrenaient lentement, comme pour leur donner du temps. De chaudes lèvres s’approchèrent de son front et ce fut le plus doux baiser qu’elle n’ait jamais reçu de tout sa vie. Elle ferma les yeux et s’endormit paisiblement au son de la mélodieuse voix qui lui chantait ses chansons préférées.

Elle se réveilla dans sa ville natale. Il lui tenait la main et ils arpentèrent la ville en silence. Elle reconnut certains de ses endroits favoris. Elle vit certains de ces anciens camarades de classe accablés par l’âge. La ville avait changé. Peu de personnes la reconnaitrait. Elle était partie depuis si longtemps. Ils s’arrêtèrent devant l’ancienne boutique de sa marraine. Soudainement, des images inondèrent son cerveau et son pouls s’accéléra. Paralysée par le flux rapide de souvenirs, elle s’appuya sur son épaule, elle se savait en sécurité. Elle vit un bébé devant la boutique. Étendu dans son beau panier rose, il regardait quelqu’un partir. Le poupon ne comprenait pas que c’était un au revoir. Il s’endormit parce qu’il s’estimait en sûreté. Et enfin, Philoména comprit.

Surprise, elle leva la tête et le regarda. Ses lèvres brûlaient de mille questions, mais, elle ne savait laquelle formuler avant. Une fois de plus, elle se plongea dans son regard et se sentit enfin à sa place. Tout s’expliquait ; sa joie de vivre, son amour de la danse, son sourire contagieux, ses blagues intarissables, son amour de son prochain, sa préférence pour la couleur jaune et tant d’autres traits de caractère qui la rendent agréables à vivre. Il lui prit la main droite, souffla dans sa paume et lui sourit. Philoména regarda fébrilement le creux de sa main et comprit qu’elle était l’enfant soleil. Elle s’était languie toute sa vie de la présence d’un père aimant et d’une mère protectrice alors que chaque jour, les rayons du soleil la guidaient et l’accompagnaient.

Assise sur une solide dodine, la septuagénaire tricotait. Ses vieilles mains ridées ne se fatiguaient jamais. Ses paumes caressantes tenaient fermement le bonnet d’hiver qu’elle se hâtait de terminer pour sa petite-fille qui naîtrait bientôt. Un doux sourire effleura ses lèvres. Ce sera son sixième petit-enfant, mais, elle ressentait toujours la même excitation. Ayant fini de tisser le bonnet jaune, elle se leva, esquissa quelques pas de danse et se tourna vers le soleil qui la serra énergiquement dans ses bras.

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